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Anticipation, angoisse signal et parentalité

« Le cerveau sert à prédire le futur, à anticiper les conséquences de l’action (la sienne propre ou celle des autres), à gagner du temps. »
Alain Berthoz, 1997

« Penser c’est-à-dire représenter et anticiper l’autre serait un véritable mécanisme régulateur de l’activité mentale et de l’action, dans la mesure où elles s’adressent à autrui. Un tel mécanisme pourrait jouer un rôle essentiel dans le développement psychique de l’enfant dès les premières interactions et être un processus clef du développement du langage. »
Nicolas Georgieff, 1999

« Le futur est l’anticipation de ce que demain sera, anticipation toujours aléatoire dans la mesure où ce que je cherche à faire advenir se trouvera contrarié par l’irruption de l’imprévu. L’ambiguïté du futur vient donc de ce qu’il est tout à la fois gros du présent et du passé, et radicalement différent d’eux, laissant lorsqu’il s’actualise libre cours à l’inédit. »
Jean-Pierre Boutinet, 1990

« Il faut sans doute admettre que les femmes enceintes qui ont pris conscience de leur état commencent à parler pour le témoin intime qu’elles portent dans leur
corps, mais aussi, d’une certaine manière, directement à son intention. Lorsque la nouvelle d’une grossesse a pour une femme une tonalité positive, se développe dans son attitude une trame de tendres anticipations de la coexistence avec la nouvelle vie, et les mères commencent à se comporter comme si elles étaient désormais placées sous observation discrète. Pour celui ou celle qui joue en elle le rôle de témoin, elles se maintiennent un peu plus que d’habitude – elles s’écoutent parler plus clairement, elles se sentent responsables de leurs humeurs et de leurs succès dans la vie, et elles savent que, pour leur part, elles ne sont pas une condition secondaire et indifférente pour la réussite de la vie à venir. »
Peter Sloterdijk, 1998.

Introduction aux connaissances de la psychologie clinique fœtale

Depuis la fin du deuxième millénaire dans de nombreux pays industrialisés, les progrès technologiques mis au service du diagnostic anténatal expose publiquement un nouvel acteur : le fœtus, resté jusque là en occident dans l’intimité du sein maternel à l’abris d’une invisibilité sacrée.

Cette médicalisation grandissante de la grossesse maternelle et la personnalisation du fœtus s’accompagnent d’un constant risque de déshumanisation et de scientisme iatrogènes des soins. Indissociable de son enracinement interdisciplinaire et du dialogue entre « somaticiens » et « psychistes », la psychologie clinique fœtale a pour objet privilégié ce paradoxe et ses multiples tensions éthico-cliniques quotidiennes.

Dans sa phase émergente, la psychologie clinique fœtale s’organise autour de trois espaces/temps de rencontre emblématiques : la dialectique du devenir parent et du naître humain ; les procédures médicales de la grossesse en général et le diagnostic anténatal en particulier ; les consultations thérapeutiques anténatales. Les enjeux théoriques, cliniques, institutionnels et éthiques des deux premiers éléments de ce tryptique sont ici explorés (la consultation thérapeutique prénatale fait l’objet d’un autre article).

Au final, la psychologie clinique fœtale revendique aujourd’hui un fort potentiel heuristique en périnatalité mais, pas seulement : tous les âges de la vie bénéficieront à l’avenir d’une anamnèse attentive de ce premier chapitre anténatal au cœur du fonctionnement biopsychique du sujet et de ses échanges relationnels toute sa vie durant.

Mots clefs : Fœtus, grossesse, parentalité, diagnostic anténatal.

Interview d’Alice Doumic_Girard

Le nom d’Alice Doumic est étroitement associé pour moi, de longue date, à ceux de Robert Debré, son maître, immense figure humaine, pionnier de la pédiatrie, esprit toujours curieux de découvrir et de préparer l’avenir, que j’ai eu la grande chance de connaître de 1970 jusqu’à sa disparition en 1978, et de Pierre Mâle, clinicien hors-pair de l’adolescence qui a grandement contribué à mon intérêt pour ce groupe d’âge, ayant pu, comme externe, assister à quelques-unes de ses consultations à Sainte-Anne.

Avec le premier, après qu’il a eu guidé ses premiers pas en médecine, elle a souvent travaillé et s’est penchée sur les troubles du sommeil du tout-petit, cherchant la clé de ces dysfonctionnements précoces dans l’articulation du psychique et du somatique. Avec le second, psychothérapeute d’adolescents, elle conforta son expérience du bébé, préfigurant les échanges ultérieurs que nous connaissons à présent comme particulièrement fructueux entre professionnels de ces âges dans lesquels les changements physiologiques sont largement décalés par rapport au niveau de maturation psycho-affective.

Nonagénaire, avec une vivacité d’esprit intacte, elle a d’emblée accepté la proposition d’une interview permettant de témoigner de la construction d’un parcours et d’un intérêt professionnel au service des bébés, comme pédiatre autant que comme psychanalyste. Elle nous a reçus chez elle, Sylvain Missonnier (que je remercie chaleureusement d’avoir accepté de participer à cette aventure) et moi-même, là où de nombreux bébés – et de nombreux parents ! – lui durent un sommeil plus paisible. Grande clinicienne du tout-petit, dotée d’une  empathie particulière à l’égard des bébés, elle nous permet de mesurer les étapes parcourues dans la prise en charge de cet âge, mais aussi la constance irremplaçable d’une attention à l’autre et de capacités d’identification suffisantes pour une pratique exigeante que l’avalanche de protocoles, de codifications et de contraintes technocratiques rend d’autant plus précieuses.

Patrice Huerre

Le premier chapitre de la vie

Une biographie qui débute le jour de l’accouchement est-elle sérieuse ? Non, pas plus qu’une anamnèse qui fait impasse sur l’histoire du sujet avant sa naissance. Après plusieurs décennies consacrées à la découverte des relations parents/bébé, le temps d’une psycho(patho)logie authentiquement périnatale est enfin venu. Pour la mettre en oeuvre, le chantier est bien avancé autour de l’enfant né et de son environnement ; a contrario, il reste fort à faire à l’égard du foetus et de son entourage.

Dans cette voie, la période prénatale mérite d’être considérée comme une double métamorphose progressive et interactive : celle du devenir parent et du devenir humain. On ne naît pas parent à la naissance du bébé, on le devient (processus de parentalité anténatal). Le fœtus ne naît pas humain, il le devient durant la grossesse (premières étapes de l’ontogenèse). L’espace utéro-placentaire est l’interface entre le fœtus et son environnement.

Cet entrecroisement de la nidification parentale et de la nidation fœtale est périlleux car il confronte à une inévitable incertitude sur l’issue oscillant entre le rien, la chose innommable, le monstrueux et le virtuellement humain.

Est ce que ces métamorphoses du premier chapitre habitent l’humain toute sa vie durant ? Pour esquisser une réponse, l’hypothèse psychanalytique d’une « relation d’objet virtuelle » est ici cliniquement explorée à partir de deux récits cliniques.

Mots-clefs : Parentalité prénatale, interactions fœtus/environnement, relation d’objet virtuelle.